En cette journée internationale de la sclérose en plaques, je souhaite vous offrir une nouvelle qui me tient réellement à cœur.
Je l’ai écrite sur un coup de tête, un jour de vague à l’âme, un jour durant lequel le pire squattait mon esprit.
Ce jour-là, la tempête était bien présente.
La sournoise (nouvelle)
Elle est apparue comme par enchantement, ou plutôt comme par désenchantement, un beau matin de printemps. Je ne la connaissais pas. En revanche, elle, elle s’était déjà immiscée dans chaque cellule de mon cerveau sans même que je m’en rende compte. Sans cette foutue porte, je ne me serais pas inquiétée outre mesure. Oh que non ! Cette porte aura été mon un déclic, le début de ma déchéance morale et physique. Cette porte, j’y pense souvent, parce que je ne l’avais pas vue et c’est justement là qu’était le problème. Cela signifiait que ma vue me jouait des tours. Le stress ? La fatigue ? La sortie de l’hiver ? Tant de possibilités qui pouvaient me donner à croire que c’était accidentel, passager, et que cela ne se reproduirait plus. Mais, au plus profond de moi, je savais. Qu’est-ce que je pouvais bien y comprendre alors que je n’étais pas médecin ? Que quelque chose se préparait en moi, une recette sournoise qui mitonnait doucement, à feu doux, en prenant son temps. Après une longue période de macération, de décantation, elle s’était attaquée à ma vue et cette porte, je l’avais prise en pleine tête, dans un bruit sourd qui avait étonné tout le monde. Une vingtaine de personnes, je pense, voire plus. Je ne sais même plus. Cette porte était bien là, mais ma main ne l’avait pas ouverte, car elle était hors de mon champ de vision.
Quelques semaines plus tard, sans avoir eu de diagnostic précis, c’était mon bras droit qui ne m’écoutait plus. Il n’en faisait qu’à sa guise et puisait la douleur au plus profond de mon être. Deuxième incident qui apportait son lot de questionnements mais aucune réponse.
Le doute, la peur de l’inconnu, la crainte de la maladie, l’inquiétude face à des symptômes qui ne trouvaient pas d’explications. J’étais impuissante et réduite à attendre, encore et toujours. Mon état psychologique en prenait un coup, mais je ne pouvais pas lâcher maintenant. À trente-cinq ans et maman de deux jeunes enfants, je devais me battre. Mais contre qui ? Je ne connaissais pas mon adversaire et je ne laissais couler mes larmes que sous la douche. Ainsi je pouvais accuser le savon d’avoir fait rougir mes yeux. Excuse stupide, mais de cette manière personne ne se doutait que parfois je m’abandonnais sous cette eau brûlante que j’accusais de tous mes maux. À présent, elle me fait du bien, elle apaise mes douleurs.
Un matin, la réponse est tombée comme un couperet. Et pourtant, je ne savais pas encore à qui j’avais affaire. Devais-je réellement avoir peur de cet inconnu ? Devais-je lui faire face, la tête haute, et lui dire ma façon de penser ? Cet adversaire-là me semblait faible. Et pourtant, avec le temps, il s’est ancré en moi comme une sangsue, absorbant ma bonne humeur, aspirant ma joie de vivre, détruisant mon travail, anéantissant mon quotidien. Cet adversaire m’a pris tellement de choses, ma vie en premier, celle que je menais tambour battant, avec mes ambitions professionnelles et familiales.
La période de deuil a été longue, très longue, mêlée à de l’incompréhension, à d’éternelles questions restées toujours sans réponses.
Aujourd’hui, j’ai appris à vivre avec celle qui est devenue ma compagne. Je l’appelle ainsi parce qu’elle ne me lâchera plus. Elle me suivra jusqu’à ma mort, mais ne me tuera pas. Alors plutôt que de me battre contre elle, je vis avec elle et la vie me semble plus simple. Mon corps rythme mon quotidien, mes journées. Et lorsque la douleur s’active, qu’elle s’installe dans chaque partie de mon corps à coups de picotements, de décharges électriques, de fatigue, de vertiges, je fais comme les animaux, je me cache dans un trou et j’en ressors lorsque la tempête est passée.
Ma compagne a un nom, c’est la sclérose en plaques.